Quand je me dévoile
Au moment où la revue A DIRE nous propose d’écrire sur le thème d’être gestalt-thérapeute aujourd’hui, je suis moi-même dans une période d’écriture de petits textes sur mes séances et ma pratique : comment suis-je impliqué dans le lien ? Comment mes clients me font réagir ? Comment je pense à eux en dehors des séances ? S’est alors posée la question de quoi faire de mes textes. Mon superviseur m’a suggéré de les lire en séance aux clients concernés et mettre cet échange au service de la thérapie. Passer par un texte écrit et oser me dévoiler a ainsi contribué à faire évoluer ma façon d’être gestaltiste.
Être Impliqué, créatif et audacieux dans le lien
Ludivine est revenue en séance après une interruption de deux ans et demi. Je l’avais accompagnée pendant une année et elle n’avait pas souhaité aller plus loin. Elle allait mieux et avait trouvé ce qu’elle était venue chercher, me disait-elle. J’avais donc respecté son choix mais je n’en pensais pas moins, regrettant qu’elle n’entre pas dans un travail de réparation plus en profondeur. Elle revient maintenant pour « quelques séances pour traverser une crise », soulagée de pouvoir en parler librement à quelqu’un. Peut-être ne servirai-je qu’à être cette oreille bienveillante sous le sceau de la confidentialité. Cela me frustre un peu. J’avais alors écrit un texte.
Pour la séance avec Ludivine qui suit ma supervision, j’imprime le texte, me disant que je saisirais peut-être une occasion de le lui faire lire. En début de séance, Ludivine ne sait pas si elle souhaite prendre un nouveau rendez-vous. Pourtant, elle ne se sent pas bien, me parle des évènements douloureux qu’elle traverse. Je prends le temps de l’aider à éprouver ce qui se passe en elle, à exprimer comment son corps et son cœur vivent ces moments difficiles. Elle revient assez souvent dans sa tête pour éviter les sensations désagréables. Elle a peur de s’effondrer si elle devait s’écouter pleinement.
Au bout de trente minutes de séance, Ludivine se sent mieux. Je sens s’ouvrir une fenêtre. Souhaite-t-elle lire le texte que j’ai écrit après sa première séance de reprise ? Elle accepte. Le texte la touche et en même temps la met sur la défensive. Je soutiens ce qu’elle ressent et l’invite à me dire franchement tout ce qui la traverse à l’occasion de cette lecture. Elle finit par me formuler que c’est difficile pour elle d’envisager une thérapie longue, et ce pour trois raisons. D’abord, sa mère a longtemps été en thérapie sans aucun effet positif à ses yeux. Ensuite, son conjoint n’en voit pas l’intérêt. Enfin, la plus difficile à dire : elle redoute de se retrouver dans une relation d’emprise avec moi comme elle a pu en vivre à différents moments dans sa vie. Je soutiens cette peur qui rend nécessaire d’être vigilants, ensemble, aux situations qui pourraient générer de l’emprise. Waouh ! La puissance et la profondeur de ce dévoilement me touchent. Son audace fait écho à la mienne. Elle repart d’ailleurs avec le papier. C’est chouette !
Être humble, ouvert et confiant dans le processus...
Cela m’aide beaucoup dans ma pratique d’avoir foi dans la vie et dans le processus thérapeutique, avec l’humilité d’être un simple accompagnateur du processus de guérison, le canal d’un soin qui ne demandait qu’à advenir. Les fondateurs de la Gestalt-thérapie ont formulé cela à travers la succession des cycles du contact qui décrivent les processus du vivant en perpétuelle interaction avec l’environnement. Quand je centre ma conscience sur le Self de ma cliente à la frontière-contact entre elle et moi, j’ai le sentiment de créer des conditions pour que le vivant en elle puisse retrouver un chemin fluide de réponse à ses besoins. Je m’inscris aussi dans une démarche d’accompagnement existentiel qui m’invite à rencontrer par moments mon impuissance face à la souffrance de ma cliente. C’est le cas avec Estelle et je garde une posture d’accompagnant humble, ouvert et confiant. Voici les deux textes que j’ai écrits pour prendre du recul et démêler ce qui se passe en moi :
« J’accompagne Estelle en séance et je tente de lui montrer les mécanismes de défense qui se mettent en place quand elle évoque ses traumas. D’une part, Estelle minimise l’ampleur de l’impact en comparant avec d’autres personnes qui ont vécu des choses plus graves. D’autre part, son mental prend le contrôle en me disant qu’elle a bien conscience de ce qu’elle a vécu, que cela devrait être déjà traité et qu’il ne faudrait plus avoir à y revenir… Une part de moi voudrait qu’elle reconnaisse que c’est faux, qu’il y a encore du travail à faire pour nettoyer. En même temps, je contacte un amour compassionnel pour Estelle et ses mécanismes de protection. Il va de pair avec la tendresse que j’ai appris à me porter lorsque je me vois pris dans mes travers et mes évitements. Aimer inconditionnellement, n’est-ce pas la seule chose qui puisse soigner ? Estelle conclut la séance en me disant qu’elle prend conscience qu’elle a encore du chemin à faire en thérapie pour nettoyer ses traumas en profondeur… »
« Je revois Estelle deux semaines plus tard pour la suite de la thérapie. Elle semble plus proche d’elle-même. Elle me confie qu’elle a reçu un soin énergétique au cours duquel le soignant lui a retiré quelque chose de sombre et visqueux au niveau de la poitrine. Depuis, elle a moins de ressentiment contre les autres et contre elle-même. Sa souffrance devient plus accessible. Pour faire un pas de plus, je lui propose de me regarder et de prononcer trois mots : « Alexis, je souffre ». Cette proposition lui fait monter les larmes. Les mots sont bloqués dans sa gorge. Le mental tente de reprendre le contrôle. Je l’invite à prendre le temps nécessaire et à prononcer ces trois mots, même mécaniquement dans un premier temps. Je voudrais qu’elle vive l’expérience de s’entendre reconnaître sa souffrance devant une autre personne humaine. Elle finit par me dire ces trois mots avec émotion et authenticité : « Alexis, je souffre ». Et pour la première fois, après plus de deux années de thérapie, elle s’autorise à venir pleurer dans mes bras. Quelque chose se relâche en moi à son contact. »
Un mois plus tard, quand je dévoile à Estelle le fait que j’avais écrit deux textes suite à nos séances, elle a été très émue : « cela veut dire qu’il y a un vrai lien entre nous, que la relation ne s’arrête pas au temps de la séance », me dit-elle. Je suis aussi profondément ému.
Être exigeant envers soi-même, dans la durée...
N’a-t-on jamais terminé son chemin de développement lorsque l’on se prétend thérapeute ? Il est si facile de négliger ses propres zones aveugles, de rester figé dans ses certitudes et ses routines de travail quand nos clients et la vie sont en perpétuel changement. L’impermanence n’est-elle pas un des fondements philosophiques qui a influencé nos fondateurs ?
Je vais entrer dans ma dix-neuvième année de thérapie personnelle, en individuel et en groupe, en Gestalt, en thérapie biodynamique, en constellations familiales, en soins énergétiques et chamaniques… Je crois que ce chemin de rencontre avec ma profondeur m’a non seulement mené vers ce métier d’accompagnant mais qu’il a aussi élaboré un socle de sécurité pour mes clients. La personne que je suis, et donc le thérapeute que je suis, évolue au fil des accompagnements que je propose. Peut-être est-ce cela, être gestalt-thérapeute, ne pas être le même thérapeute demain que celui d’hier ? J’accepte ainsi pleinement de m’inscrire dans un chemin d’évolution personnelle qui ne trouvera probablement sa fin qu’à ma mort. En attendant, autant que possible, je choisis d’être au plus près de moi-même, particulièrement dans les temps d’accompagnement, durant lesquels mes clients ont besoin d’une qualité de présence qui devient modélisante pour eux.
Voici alors un texte récemment écrit à la fin d’une journée de travail :
« Je suis frappé par les similitudes que je repère entre les difficultés de mes clients et celles qui ont été les miennes. J’ai remarqué cela dans quatre séances aujourd’hui, quand mes quatre clients très dissemblables abordaient quatre thématiques très différentes. Mes blessures et le chemin que j’ai fait pour me soigner ont constitué les compétences qui font de moi le thérapeute que je suis. Je reste attentif à rejoindre mon client là où il est en souffrance et à insuffler l’espoir d’un mieux-être. Pour le rejoindre dans le respect de son unicité, je demeure vigilant à ne pas confondre sa souffrance et la mienne, à ne pas attendre qu’il prenne un chemin similaire à celui que j’ai pris. »
Être gestaltiste pour moi ?
Être gestaltiste revient à faire le choix d’une écologie personnelle qui me rapproche de ma nature profonde et de celle de notre planète. C’est une exigence vis-à-vis de soi-même faite de formation continue, de supervision, de travail sur soi que je mène en m’ouvrant à des approches ayant une dimension énergétique et corporelle. Je cherche à équilibrer donner et recevoir dans le respect de moi et de l’autre. J’essaie d’incarner l’espoir que l’humanité et sa planète ne courent pas à leur perte malgré les peurs et les pessimismes ambiants. Je m’efforce de contribuer, à mon échelle, à un monde meilleur.
Alexis Deleplancque
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