Immaculée et Chamaniesque
Il était une fois un pays où tout était soit noir, soit blanc. C’était le pays du tounoir/toublan.
Il n’y avait rien d’autre, je pouvais m’abîmer les yeux à regarder, rien à faire, c’était comme ça.
Le problème, c’est que je voyais en moi que c’était différent, qu’il y avait de temps en temps des couleurs qui pointaient, qui avaient envie de sortir, de se montrer. Et de temps en temps elles jaillissaient comme ça, je ne pouvais plus les retenir !!! Alors là, catastrophe ! Le roi du tounoir/toublan disait que je salissais tout, que ces couleurs étaient mauvaises et il m’obligeait à tout laver.
J’avais le corps tout abîmé et déformé à force de laver.
Et je me suis dit que je devais faire quelque chose.
J’ai donc décidé de partir en voyage.
De quitter le royaume des tounoir/toublan et d’aller voir ailleurs.
Quelle surprise j’ai eue ! Je croyais que les autres étaient comme moi et que le monde était comme moi… Eh bien non ! Il y avait bien sûr des tounoir/toublan mais il y avait aussi des gens et des royaumes en couleur. Certains n’avaient qu’une couleur, d'autres avaient deux couleurs, d’autres étaient multicolores. J'étais persuadée qu’ils avaient tort et j’obligeais alors les gens de mon entourage à se laver.
J’ai vite été dépassée, alors j’ai pensé que j’avais des problèmes de vue, que je ne voyais pas les choses comme elles devaient être.
Et je me suis dit que je devais faire quelque chose.
Je suis donc allée voir un aidant à regarder. C’est lui le premier qui m’a fait accepter que tout n’était pas tounoir/toublan, que c’était normal, que les couleurs existaient, différentes pour chacun, qu’il y en avait même qui existaient spécialement pour moi.
Secrètement, j’admirais ces couleurs, je les trouvais tellement belles que j’avais envie d’en avoir moi aussi. Je voyais bien celles des autres et celles du monde autour de moi. Je voyais aussi qu’il restait encore beaucoup trop de tounoir/toublan et j’ai eu envie de changer tout cela, de me changer et de changer le monde.
Et je me suis dit que je devais faire quelque chose.
Je suis donc repartie en voyage.
Alors que je commençais à avoir mes propres couleurs, je voyais bien que ce n’était pas stable. Et c’était un problème !!!
Au détour de ma quête, je me suis inscrite par hasard à un stage animé par une drôle de dame. Avec cette drôle de dame, j’ai pleuré le jour des rires, j’ai ri le jour des pleurs, j’ai rencontré le silence et la création.
J’ai réalisé que c’est ça que je voulais pour moi, comme ça que je voulais vivre ma vie et que c’est comme ça que je voulais pratiquer mon métier pour l’offrir aux autres et au monde.
Et pour arriver à cela, évidemment,
moi je me suis dit que je devais faire quelque chose.
Grâce à cette rencontre, j’ai pu entrer à l’école des aidants à regarder pour apprendre à pratiquer de cette manière.
Ma drôle-de-dame est devenue ma nouvelle aidante à regarder. Avec elle, c’était différent, et elle aussi était différente des autres. Cette drôle-de-dame aidante à regarder était Immaculée, et moi je croyais que c’était sa couleur. A chaque fois que mes couleurs étaient instables, avec l’aide de ma drôle-de-dame-immaculée, j’en profitais pour regarder ce qui se passait.
Quand je perdais mes couleurs, j’ai vu, après une expérience douloureuse, qu’il me restait une petite forme précieuse. C’était le cadeau que me faisait mon expérience. Je me souviens de la toute première fois où j’ai vu ma forme précieuse que j’ai nommée sculte-peintue. C’était avec ma drôle-de-dame-immaculée.
Quand ma sculte-peintue s’est placée en moi, mes couleurs sont devenues stables et solides.
Et je me suis dit que je me sens prête,
et que je peux maintenant
faire quelque chose pour les autres.
J’ai poursuivi ma formation. J’ai commencé à pratiquer mon métier d’aidante à regarder à la manière Immaculée. La découverte de ma sculte-peintue a changé bien des choses. Quand deux sculte-peintues se rencontrent et dansent ensemble, il se passe alors quelque chose d’inattendu : j’entends une musica2. La première musica2, je l’ai entendue avec ma drôle-de-dame-immaculée.
Par la suite j’ai fait une autre rencontre et une autre découverte. Alors que je poursuivais ma formation, j’ai rencontré un drôle de bonhomme-regardeur-chamaniesque. Nous étions plusieurs sculte-peintus dans la même prairie et, alors que nous dansions ensemble guidés par regardeur-chamaniesque, j’ai entendu la musica-plein pour la première fois. Lui il est très fort pour faire chanter les sculte-peintus. Il les met tous ensemble dans le même champ, ça danse et ça musica-plein.
Et j’ai pensé : moi aussi je veux apprendre à faire la musique des sculte-peintus qui dansent ensemble dans la prairie. Et je veux apprendre avec regardeur-chamaniesque. Je me suis donc inscrite à un stage avec un troupeau de sculte-peintus sourdingues comme moi, pour apprendre à entendre la musica-plein, avec regardeur-chamaniesque.
Lors de ce stage, alors que j’étais en place de chef d’orchestre apprentie, avec mes compagnons sculte-peintus-sourdingues-apprenants, je me suis mise à entendre un petit air de musica-plein qui est venu, tout doucement, comme un parfum.
Et je me suis dit : j’ai dit oui
Oui à la rencontre
J’ai dit oui
Avec mon regardeur-chamaniesque, j’ai appris à mettre plusieurs sculte-peintus ensemble, à regarder les effets, à explorer, à oser sortir des sentiers battus et expérimenter des nouveautés.
J’ai observé - oh !! - combien des sculte-peintus mis ensembles dans une même prairie pouvaient créer de puissantes musiques parfumées et que ces puissantes musiques parfumées changent les couleurs du monde qui nous entoure.
Mon regardeur-chamaniesque m’a encouragée à créer mes propres prairies et à parfumer ces champs des possibles d’infinitiesques couleurs dans le visible et dans l’invisible.
Après plusieurs années d’entraînement, soutenue par Chamaniesque et Immaculée, avec mes compagnons aidants-à-regarder, nous tentons maintenant de créer une communauté où il fait bon vivre.
Et je me suis dit : j’ai dit oui
Oui à la rencontre
J’ai dit oui.
La rencontre de cette drôle de dame et de ce drôle de bonhomme ont contribué à sculpter mon chemin d’aidante-à-regarder, et sans doute à sculpter le chemin de chacun.e et cela sur plusieurs générations.
Cette histoire rend hommage à Immaculée et Chamaniesque.
Et je me suis dit : j’ai dit oui
Oui à la rencontre, j’ai dit oui,
Et je vous le dis : grand merci, grand merci !
Epilogue
Je reviens de trois mois et demi de marche sur le chemin de Compostelle où j’ai parcouru plus de 2000 km à pied avec mon conjoint.
Quand je regarde mon parcours de gestalt-thérapeute aujourd’hui, il est à l’image de ce chemin de 2000 km : j’ai fait ce que j’avais à faire chaque jour et les kilomètres se sont accumulés sans même m’en rendre compte. Un chemin fait de rencontres qui me touchent, m’inspirent, me transforment et contribuent à nourrir mon être.
C’est comment d’être gestalt-thérapeute aujourd’hui ? Pour moi, c’est un état d’être où conjuguer les verbes « faire et avoir » est au service de « être et vivre ». Puis rayonner cet état dans mon cabinet, dans la communauté, dans la vie tout simplement.
Ce conte parle d’un parcours de gestalt-thérapeute, peut-être le mien, peut-être un peu le vôtre, et à l’image du chemin de Compostelle, ce chemin pourrait devenir un héritage commun pour l’humanité. J’aime le rêver ainsi.
Marielle Thouret
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