L’esprit de l’approche gestaltiste
L’approche gestaltiste consiste à retrouver une posture fondamentalement saine et simple devant la vie. Voici en effet, parmi les principes énoncés par les auteurs du PHG, ceux qui ont fondé ma posture et qui, dans nos temps troublés, me semblent avoir encore plus de sens : « … nous croyons que la perspective de la Gestalt est l’approche originelle, sans distorsion, naturelle, de la vie, c’est-à-dire du penser, de l’agir et du ressentir de l’homme. L’homme moyen, qui a grandi dans une ambiance pleine de clivages, a perdu sa Totalité, son Intégrité. Pour se rassembler à nouveau il doit guérir de la dualité de sa personne, de sa pensée et de son langage. Il est habitué à penser en termes de contrastes – infantile et mature, corps et esprit, organisme et environnement, soi-même et réalité – comme si c’étaient des entités opposées. La perspective unitaire qui peut dissoudre une telle approche dualisante est enfouie mais pas détruite. » (1)
Dans nos sociétés actuelles il est en effet quasi « normal » que la perspective unitaire se fasse par clivage : on dénonce, on refuse, on juge indignes, fautifs, méprisables, à exclure… ceux qui ne vivent pas ou ne pensent pas comme nous : on sait qui sont les méchants, les incapables, les menteurs… parce que les bons, les capables, ceux qui ne mentent jamais, c’est « nous ». En somme notre perspective « unitaire » se construit par élimination (alias clivage). Cette passion moralisatrice voire justicière, souvent dévorante, qui prétend « faire du Un » sans ou contre quelque chose ou quelqu’un, on la voit au travail tous les jours, dans la sphère politique notamment, mais aussi dans beaucoup d’autres contextes.
Ce que je perçois de la posture gestaltiste décrite dans le PHG est l’opposé du clivage et ce n’est pas une découverte ou une nouveauté : c’est un retour aux sources. Je dirais plutôt quant à moi, et en d’autres mots, que c’est une manière d’être à laquelle beaucoup d’humains aspirent depuis toujours : l’opposé du réflexe individualiste. Comme me l’a dit un jour un de mes formateurs, « la Gestalt est farouchement relationnelle » : nous, moi avec les autres, sommes co-acteurs de ce qui se passe.
D’abord dire oui à la situation en cours, avec laquelle il n’est pas question d’être d’accord ou non : elle est d’abord à constater. C’est le moment de ce que le texte anglais appelle consciousness, que je traduis par « présence attentive » : ce qui se présente j’en prends acte. Ensuite je vais agir ou réagir avec ce qui me vient spontanément : du « nouveau » que je donne, voire qui se donne à cet instant dans ma relation avec mon vis-à-vis, et qui correspond au mot awarness, que je traduis par « présence engagée ». Présence car je ne suis plus entrain de réfléchir, d’élaborer ou de calculer, et présence engagée car je mets mon « nouveau » au service de la situation. Dans le meilleur des cas il va la fertiliser en éveillant chez mes vis-à-vis des résonances créatrices. A défaut, je m’engagerai encore, mais avec un autre « nouveau » spontané. Mon « faire du Un » se fait donc avec l’autre ou les autres.
Ainsi l’esprit premier de la posture gestaltiste est-il, à mon sens, d’être présent, simple, clair : accueillir l’autre autant que soi-même, rapprocher, allier, ne pas tourner le dos, rechercher sans cesse la juste distance. Dans les temps troublés que nous traversons actuellement sur cette planète, cette dimension large de notre approche prend beaucoup de sens : la Gestalt me semble avoir été en avance sur ce qui apparaît aujourd’hui impératif pour beaucoup de gens qui ne sont pas gestaltistes et ne le seront jamais : repenser, recréer une société qui soit structurée autour de l’« avec ».
Historiquement, la prise de conscience individualiste s’est beaucoup développée, depuis cent ans et plus, grâce à la psychologie, à la psychanalyse puis aux diverses psychothérapies, mais bien souvent – et très logiquement – au détriment de l’intérêt collectif. De fait, notre humanité est en train de traverser une adolescence risquée : avant tout et quelles qu’en soient les conséquences, contester et se battre contre tous les pouvoirs existants. Alors préparons-nous à devoir monter sur la marche qui suit - si nous n’avons pas disparu – et déjà à contribuer à élargir l’idéal démocratique qui donne la parole à tous - c’est indispensable - mais qui donne aussi la place au voter contre, avec les rancoeurs et les blocages qui s’ensuivent. Alors si nous devons, nous les humains, avoir un avenir viable, c’est en allant plus loin que le contre : affronter l’avec, ses inconnues, ses risques, ses découvertes et aussi ses merveilles.
Le présente texte reflète l’esprit du Creuset de Meymans : un lieu dont la création en 1992 s’est précisément inspirée de l’AVEC l’autre ou les autres : l’accueil, la présence attentive et la présence engagée dont l’approche gestaltiste est fondamentalement porteuse.
Pierre Janin
Apport de Pierre Janin à la fête organisée par Agnès et Jean-Marie Delacroix pour les cinquante ans de leur pratique de la Gestalt (juin 2024)
Auteur de Artisans du lien vivant, édition Le Creuset de Meymans, disponible sur www.creuset-de-meymans.com/le_Creuset_de_Meymans_editeur
(1) Perls, Hefferline et Goodman : Gestalt therapy (1951), Vol. I, Introduction, p.viii. Souvenir Press (Londres), 1972. Traduction PJ.
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