J’ai lu "Déontologie pour les psys", d’Emmanuelle Gilloots
Manuel de déontologie professionnelle pour les praticiens de l’accompagnement psychologique
Fort intéressée par ce thème, je me préparais toutefois à la lecture fastidieuse d’une liste de “Il faut… Tu dois… Y’a qu’à…“. L’excellente surprise est que ce manuel est à l’opposé de cela, il est pédagogique, très agréable à lire, à comprendre, à intégrer.
Outre la préface rédigée par Brigitte Asselineau (1), il se présente en 3 parties : l’éthique, la déontologie et le droit dans la pratique de la psychothérapie.
Nous remarquerons que cet ouvrage s’adresse, au-delà des gestaltistes, aux psychothérapeutes de toutes pratiques. Sans jargon gestaltiste, utilisant un langage direct et précis, ce manuel basé sur une réflexion éthique-déontologique est très en lien avec la pratique quotidienne de tout praticien.e en psychothérapie. Il foisonne d’expériences cliniques extraites du vécu clinique de son auteure, de ses réflexions sur le sujet depuis plus de 15 ans, et apporte un référentiel réflexif étayé et approfondi.
Emmanuelle Gilloots nous indique comment elle a rencontré les questions éthiques-déontologiques dans le cadre, entre autres, de son engagement à la FPGT, et auparavant au sein de la SFG (2) où elle a participé, à l’organisation de Journées d’étude autour de la déontologie et à l’écriture d’une charte déontologique dans les années 2005-2007, quelques temps après le passage de la loi Accoyer (3).
Elle ne le précise pas dans cet ouvrage mais l’a signifié lors d’une intervention à l’EPG (École Parisienne de Gestalt), cette loi a été un traumatisme pour beaucoup de thérapeutes gestaltistes qui ont dû renoncer au titre de psychothérapeute. Ce faisant, ce traumatisme les a conduit à se méfier de tout ce qui vient de la loi. Ce manuel réhabilite notre position de professionnels de la psychothérapie en nous invitant, entre autres, à prendre connaissance du cadre législatif dans lequel nous œuvrons, de façon à être pleinement acteur.trices, en toute connaissance de cause, de notre métier d’accompagnement.
L’éthique est au cœur du message transmis par l’auteure. Elle nous incite tout au long de cet ouvrage, à considérer la complexité de chaque situation, sans chercher de façon expéditive, une réponse immédiate. Son livre invite, de façon répétée, à penser la situation, prendre du recul, prendre en compte la complexité... Avec, quel que soit le problème posé, invitation à construire sa propre réponse, son positionnement éthique, de façon unique et singulière pour chaque situation.
Pas de recette, de réponse toute faite, mais une méthodologie réflexive, au praticien.e de choisir sa posture !
Dans sa première partie sur l’éthique, Emmanuelle Gilloots fait référence à Paul Ricoeur (4) qui dans son article de 1990 sur “Éthique et morale“ considère l’éthique comme un processus, un mouvement où nous avons à prendre en compte le souci de soi, le souci de l’autre et le souci de l’institution (c’est à dire de l’environnement social, de la loi, du contexte). Elle en a créé une méthode qui explore ces 3 pôles dans chaque situation posant question : le pôle JE (le thérapeute) le pôle TU (le client) le pôle IL (le contexte, le cadre, la loi…). Pour ce faire, l’auteure s’appuie sur sa grande expérience clinique et illustre ses propos de cas pratiques. Ce qui peut être un peu frustrant, c’est qu’elle nous présente une situation vécue, nous éclaire sur la démarche réflexive effectuée, mais ne nous dit jamais quelle direction a été prise dans la réalité, quelle solution a été appliquée. Et là, se trouve le cœur de ce livre, aucune recette mais une invitation à prendre du recul, à penser la complexité de la situation. À chacun.e, ‘en son âme et conscience’ à se positionner et à assumer la responsabilité de sa position. Cette démarche enrichit la réflexion, la posture du praticien.ne. Je la cite : « la réflexion éthique n’est pas seulement un outil de prise de décision, elle ouvre à une posture et une clinique en conscience. »
Dans la partie sur la déontologie, est mis en avant combien nos références déontologiques (charte, code…) sont le résultat de la sédimentation de la pratique et la réflexion de nos pères mais en aucun cas un modèle à appliquer tel quel en toute situation. La déontologie est un ensemble de réflexions qui nous pousse à penser notre pratique et à faire un choix dans une situation donnée. Toutefois “elle pose des interdits et des limites qui nous obligent à rechercher une solution dans un espace délimité“. Ainsi, la déontologie nous apporte un cadre référentiel à l’intérieur duquel chacun, librement, est invité à se positionner en toute responsabilité. Les thèmes centraux de l’abus, du consentement, de l’enchevêtrement, de la dimension contractuelle patient/thérapeute, ainsi que de la formation et supervision des thérapeutes sont développés à partir de réflexions centrées sur son expérience pratique.
La 3ème partie réhabilite, si besoin était, l’importance pour chaque praticien.e d’avoir une connaissance du contexte législatif dans lequel iel intervient. L’auteure nous transmet avec clarté et précision les informations que chaque praticien.e ou superviseur.e se doit de connaitre sur : la justice pénale, la justice civile, la confidentialité et le secret professionnel. Sur ce dernier thème on ne peut plus délicat, là aussi l’éthique fait loi car, en mettant en évidence les incidences des options possibles, nous avons à choisir notre position face à la justice.
Ce chapitre propose de considérer la loi de notre pays comme une donnée avec laquelle communiquer en toute connaissance. Plutôt que de se positionner en ‘victime’ du système, nous avons à nous informer sur les lois ayant un impact sur notre pratique (délits, crimes, accompagnement de mineurs, obligations ou recommandation de soins…). Le cadre législatif fait pleinement partie du champ psychothérapeutique.
Ce chapitre sur le droit est donc un référentiel à étudier en amont, afin d’être prêt.e, en cas de situation extra-ordinaire, à la réfléchir sereinement.
Nous trouvons également en annexe, la liste des articles de loi pouvant intéresser notre pratique (justice pénale des mineurs, confidentialité et secret professionnel, thérapie des mineurs, hospitalisation sous contrainte, injonction de soins).
Cet ouvrage est très complet, mon seul regret est que l’aspect ‘réseaux sociaux’ ne soit pas plus développé. En effet, tout psychothérapeute se voit aujourd’hui confronté à des questions éthiques sur le ‘comment apparaitre’ au monde, questions qui, de mon point de vue, nécessiteraient débat au sein de notre communauté gestaltiste.
Ce manuel se lit avec facilité, il est un point d’appui qui aide à lever les appréhensions que génère souvent le thème éthique-déontologie. Ses exemples pratiques de situations cliniques nous mettent très vite en prise directe avec la réalité. Il apporte au lecteur.trice, une ouverture, une invitation à ralentir, à ne pas se laisser embarquer par la pression et l’anxiété que génère ce type de situation, mais à prendre du recul pour déplier tranquillement ses différents aspects, développer un méta-regard avant de se positionner, décider du chemin à prendre.
Clarté, précision et invitation à la ‘réflexion responsable’ sont les maitres mots de cet ouvrage. En cela, il est une référence que chaque praticien.e ou superviseur.e devrait avoir à portée de main !
Joële Meissonnier
(1) Brigitte Asselineau, ex-présidente de la Commission de Déontologie de la FF2P, ex-présidente de la FF2P
(2) Société Française de Gestalt créée en 1981
(3) L’article 52, de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique (JO no 185 du 11 août 2004 page 14 277), appelé parfois « amendement Accoyer », nom de son principal inspirateur, et ses décrets d’application publiés en 2010, ont règlementé strictement l'usage du titre de psychothérapeute.
(4) Paul Ricoeur (1913-2005) philosophe français centré sur la phénoménologie et l’herméneutique
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